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Vue de l’Europe, la résurrection du Ford Bronco est l’expression de vanités mal placées. Celles des automobilistes américains, pour commencer, qui s’accrochent à l’illusion d’un carburant bon marché pour réclamer des véhicules plus massifs que nécessaire. Celle de la Ford Motor Company, enfin, qui oscille entre la tentation de satisfaire l’appétit des Américains pour les gros SUV et la nécessité de préparer un avenir fatalement plus sobre et modeste. Avec son allure massive qui renvoie aux années soixante, le Bronco de 2020 — plus encore que la Mustang — est à l’image de cette Amérique pétrie de contradictions.  

Ford a décidé de sortir de la naphtaline une appellation qu’il n’avait plus utilisée depuis 1996, lorsque le Bronco avait cédé le devant de la scène à des modèles Explorer et Expedition plus modernes. Pendant dix-huit ans, le Bronco avait été au pick-up Ford F-150 ce que le Blazer était au Chevrolet Silverado : à savoir, un châssis raccourci rhabillé en break de loisirs à quatre roues motrices. A ce titre, le Ford Bronco figure aux côtés du Jeep Wagoneer et du Range Rover parmi les pionniers du SUV, un genre décliné depuis à toutes les sauces.  

Au contraire de la Mustang, le Bronco laisse de marbre la plupart des Européens

La toute première génération (produite de 1966 à 1977) était plus rustique encore : avec ses portières amovibles, son toit détachable et son pare-brise rabattable, le Bronco originel se voulait l’anti-Jeep CJ. C’est son allure martiale de véhicule de brousse qui servit d’inspiration aux designers du Bronco de 2020, destiné à rouler sur les plates-bandes de l’ultra populaire Jeep Wrangler. 

Le Bronco a beau avoir été consacré au rang de bête sacrée de l’automobile américaine, il n’en demeure pas moins étranger aux Européens qui ne l’ont jamais pratiqué — sinon par procuration, à travers le cinéma et les séries télévisées. Cette fausse familiarité ne permet pas à un Français, à un Allemand ou à un Italien de bien mesurer l’attachement que ressentent encore les Américains d’un certain âge pour cet engin. Toutes proportions gardées, le Ford Bronco est pour eux ce que le Matra-Talbot Rancho fut aux Gaulois : une voiture autrefois ultra populaire mais passablement démodée aujourd’hui, dont on ne sait plus très bien si elle fut tuée par la conjoncture ou par son constructeur. Son nom résonne encore auprès du public qui n’aimerait pas voir le mythe écorné. 

Ce genre de considérations vous laissent-elles froids ? Autant le dire tout de suite : la vieille Europe peut remballer ses opinions, dont Dearborn n’a cure. Le Bronco a été dessiné par des Américains pour les Américains, un point c’est tout. Peu importe si la silhouette du nouveau Bronco nous évoque le Land Rover Defender — l’ancien comme le moderne. L’important est que les Américains tombent sous le charme et renouvellent leur attachement à l’Ovale bleu dont l’identité s’est quelque peu diluée sous l’influence de produits conçus en Europe et en Asie.  

Avec le Bronco, Ford invoque des liens affectifs qui l’unissent aux Américains. Point tant aux Européens.

Le mythe du Ford Bronco appartient en propre aux Américains, quand le monde entier s’est approprié celui de la Mustang. La célèbre pony car est devenue citoyenne du monde, aussi à l’aise au cinéma français que dans un polar de la télévision allemande. Alors que le Bronco, lui, garde fièrement son Stetson rivé sur la tête. Peu importe qu’il se couvre de ridicule aux yeux des Européens ou même des pédants de New-York : sa vocation est d’en appeler à l’Amérique profonde. Le vivier de clients y est suffisamment vaste pour justifier de mettre les petits plats dans les grands. 

Ce mouvement de retour de Ford sur ses vieux succès d’antan est logique de la part d’un constructeur malmené sur son marché national. Si les Ford se vendent mal aujourd’hui, c’est parce que le consommateur américain se surprend à devoir chercher une bonne raison de les préférer à un quelconque modèle concurrent. Le design ne suffit plus à se différencier : plus que jamais, Ford doit véhiculer un message clair et une image sans équivoque, en plus de fournir les qualités essentielles de longévité et d’économie.  

Ford cultive deux marques à l’effigie du petit cheval sauvage : Bronco et Mustang

Chaque constructeur doit désigner un porte-drapeau au sein de sa gamme, un modèle qui donne la direction aux troupes et affirme haut et fort l’identité de sa marque. Lorsqu’un tel modèle n’existe pas, il convient de le créer. Mais lorsqu’on s’appelle Ford et qu’on a la chance d’en compter plusieurs dans son histoire, il suffit de raviver la flamme. Ce qui demande application et talent. 

L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît. Les annales de la mercatique regorgent de récits de résurrections avortées autant que de retours inattendus. BMW avait la Série 3 et la M3 : plutôt que de risquer à descendre en gamme, le constructeur allemand a racheté Mini pour en faire le succès que l’on connaît. Joli coup. Chez Jeep, il y a la Wrangler, lointaine héritière de la voiture conçue en 1941 par American Bantam et Willys-Overland pour les besoins de l’armée américaine. Chez Chevrolet, on trouve la Corvette, la Camaro et le Suburban, excusez du peu. Une sacrée brochette de légendes, dont certaines connurent des hauts et des bas mais qui aident aujourd’hui à vendre des SUV insipides en les auréolant de leur prestige. 

Chez Ford, il y a la fameuse Mustang, le bolide intouchable GT40 et le très populaire pick-up F-150. Dans la catégorie montante des SUV, le Bronco viendra bientôt épauler l’Explorer et l’Escape (alias Kuga en Europe). Parce qu’on n’est jamais trop nombreux pour repousser les assauts d’une concurrence féroce. 

Après la Mustang, le Bronco doit aider Ford à cultiver son image, pour mieux se démarquer de ses rivaux

Certains observateurs estiment que Ford a manqué de clairvoyance en ne cultivant pas davantage le culte de ses Mustang, F-150 et Bronco, trois marques devenues presque aussi fortes que le nom même de leur constructeur. La preuve en est que malgré les pires avanies au fil des décennies, ces noms conservent un prestige à peu près intact auprès de Monsieur Tout-le-Monde autant qu’auprès des passionnés. Certains constructeurs japonais et coréens en mal de notoriété sur le marché américain paieraient volontiers des milliards de dollars pour s’offrir des marques aussi connues que ces trois noms. 

Confirmée par Ford au Salon de Detroit 2017, la rumeur de la résurrection du Bronco était née quelques années plus tôt — d’abord chez une poignée d’internautes, puis chez quelques illustrateurs de presse en manque de sensations. Il faut dire que la firme à l’Ovale bleu les avait passablement échauffés en 2004 avec un concept-car dessiné de main de maître mais demeuré sans suite. Les gens de Ford s’étaient alors mis en tête de rendre hommage au Bronco au moment où les tous premiers exemplaires restaurés à grands frais commençaient à affoler les compteurs dans les ventes aux enchères de voitures de collection.  

La nostalgie aidant, le public américain se laissa infecter par le désir de voir le Bronco revenir à la vie pour rabattre le caquet à la Jeep Wrangler — plus précisément de sa variante 4-portes Wrangler Unlimited. La promesse d’évasion est irrésistible, l’image de ces deux modèles tellement forte qu’ils sont parvenus à faire de leur inconfort notoire une vertu et un attrait supplémentaire. Cette réussite de la mercatique moderne donne des idées à Ford qui n’aimerait rien mieux que de chiper une part de ce nouveau segment du marché, à mi-chemin entre SUV endimanchés et pick-up authentique. 

Ford Bronco : aux origines d’un nom

Auréolés du succès de la Ford Mustang lancé en 1964, Lee Iococca et son comparse Donald Frey imaginent dans la foulée offrir une autre forme d’évasion à la jeunesse américaine. Cette fois encore, ils s’imposent la contrainte de faire appel à un maximum d’éléments mécaniques existants, histoire de contenir les coûts. Ils tracent les grands traits d’un véhicule léger à quatre roues motrices voulu sensiblement plus confortable et plus rapide sur route que la Jeep CJ d’alors. Si les solides essieux rigides sont empruntés au pick-up F-100, leur suspension fait appel aux ressorts hélicoïdaux de la berline Falcon. La transmission automatique et le moteur V8 (tous deux optionnels) achèvent de donner à ce 4×4 un raffinement tout à fait extraordinaire pour l’époque, quand bien même il faudra attendre 1978 pour se voir proposer l’autoradio. La vocation utilitaire n’est pas négligée pour autant, puisque le Bronco peut être équipé d’un treuil, d’un chasse-neige ou d’une prise de force pour entraîner une tarière.

Très vite cependant, il apparaît que le Bronco intéresse une clientèle plus large que celle des acheteurs de Jeep CJ à toit et portières amovibles, puisque des trois variantes de carrosserie (roadster, half-cab et wagon), c’est la moins rustique qui se vend le mieux. Le Bronco qui s’imaginait affronter les pistes du Sud de la Californie avec son pare-brise rabattu et ses portières retirées a conquis les parkings de supermarché du Midwest et les cœurs de tout une génération de lycéens. En ces temps de tension raciale aux États-Unis, Ford est fier de rappeler que la silhouette du Bronco fut tracée en 1963 par un certain McKinley Thompson Junior, premier Afro-Américain à pénétrer les rangs des designers à Dearborn.

Cette ambition vient d’autant plus naturellement à Ford qu’il fut l’un des premiers constructeurs à s’inspirer de la Jeep civile pour concevoir son Bronco et tenter de séduire les jeunes Californiens des années 1960. Mieux connu pour ses camions et ses machines agricoles, International Harvester l’avait précédé de cinq années avec son modèle Scout, mais ce constructeur n’est plus là aujourd’hui pour ramasser le bâton. Quant aux Chevrolet K5 Blazer et Dodge Ramcharger, ils ne sont arrivés respectivement qu’en 1969 et 1974 sur le marché. La légitimité historique appartient donc en propre au Ford Bronco. En termes d’image, cela n’a pas de prix. 

Ou plutôt si. Avant même la présentation officielle du nouveau Bronco le 13 juillet, Ford avait dépensé une somme colossale en frais de promotion, parfois par des biais inattendus. C’est ainsi qu’un pont magnifique entre passé et présent a été jeté lorsque le département Ford Icons a décidé de fournir à l’ancien comédien et présentateur de télévision Jay Leno un exemplaire du moteur V8 de la toute dernière Mustang Shelby GT500 (760 chevaux tout de même) pour le glisser sous le capot de son modeste Bronco de 1968. Comme par hasard, le récit de cette métamorphose est sorti le 12 juillet, la veille de la présentation officielle du tout nouveau Bronco : les amateurs peuvent le visionner gratuitement sur la chaîne YouTube “Jay Leno’s Garage”, qui compte près de trois millions d’abonnés dans le monde. Une jolie publicité. 

Le Ford Bronco est associé au souvenir d’une affaire judiciaire rocambolesque aux États-Unis

Encore que la voiture aurait dû être dévoilée plus tôt. Par deux fois, Ford fut contraint de repousser la grande cérémonie : d’abord en raison de l’épidémie de Covid-19 ; ensuite par la faute d’un hasard malheureux du calendrier. Il se trouve que la date du 9 juillet initialement retenue coïncidait avec l’anniversaire de la naissance d’un certain Orenthal James Simpson, mieux connu sous le nom de O.J. Simpson. La gaffe. 

Les plus jeunes et les moins américanophiles de nos lecteurs ignorent peut-être la nature trouble et scandaleuse des liens qui unissent Ford Motor Company à O.J. Simpson, une ancienne étoile du football américain des années 1970 reconvertie dans le cinéma et la télévision. Par un beau jour du mois de juin 1994, l’ancien champion de la National Football League s’était caché à l’arrière du Ford Bronco personnel de son ami Al Cowlings : la vedette tentait de se soustraire aux enquêteurs de la police qui venaient de découvrir à son domicile les corps sans vie de son épouse Nicole Brown et de l’ami de celle-ci, Ronald Goldman. 

Le Bronco prétend combiner l’esprit du pick-up F-150 à l’agilité du coupé Mustang

Le 19 juin, Ford Motor Company se fendait d’un billet d’excuse sur son compte Twitter, exprimant des regrets pour l’émotion soulevée par le choix malheureux — et purement accidentel, souligne le constructeur — de la date du 9 juillet. Cela n’a pas empêché l’affaire de prendre une ampleur inattendue. Quelques esprits perfides en mal de sensation refusent de croire à une simple bourde. A les entendre, les gens de Ford auraient voulu profiter de la publicité gratuite pour attiser l’intérêt du public pour le Bronco et remettre sur le devant de la scène une appellation mise en sommeil en 1996.   

Peu importe. L’attente a pris fin à vingt heures, heure de la côte Est, ce 13 juillet 2020. L’accueil enthousiaste réservé au Bronco des temps modernes laisse espérer un joli succès commercial, doublé d’une belle rentabilité financière. Car cet engin tout-terrain décliné en carrosseries à deux ou à quatre portes repose le châssis bien connu et bon marché du pick-up Ford Ranger. Le prix de vente, quant à lui, sera agréablement gonflé par la greffe d’accessoires de personnalisation sur lesquels les constructeurs dégagent généralement de belles marges. Ford en a officiellement approuvé plus de deux cents, mais ce n’est qu’un début. A cet égard, le Bronco a bien mérité de sa cousine, la Mustang. 

D’innombrables éléments du style du Ford Bronco ont été transposés au Bronco Sport qui remémorera à certains l’esprit du Land Rover Freelander. D’aspect moins anguleux que son grand frère, ce Bronco Sport plus compact a été établi sur la plateforme moins lourde du Ford Escape, connu en Europe sous le nom de Ford Kuga. La différence ? Une réelle aptitude à affronter la boue des chemins creux, grâce à quatre roues motrices (différentiel arrière à double embrayage) et une garde-au-sol au-delà de ce le très policé Kuga oserait imaginer. De quoi titiller l’intérêt des Européens à leur tour ? 

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